“La mer fait sa lessive quotidienne...”

Publié le par Bertrand Guillonneau

Au petit matin je suis toujours là, le bateau sous Grand Voile seule fuyant à plus 8 nœuds vers la Bretagne. Les automatismes reprennent et j'installe ma voile de tempête en prenant un ris car elle est trop grande pour mon bas-étais. Tout va bien, le bateau est sauf, je suis libre et vivant, la dépression qui remonte est bien sur moi, je savais qu'elle venait et que je ne pouvais plus dans ces conditions affronter un vent de face au Cap Finisterre avec un mât peut-être instable, fragilisé, un bateau meurtri. Je vais à l'avant vérifier l'état de l'étrave qui est intacte en dehors de quelques éclats de gel-coat, des traces de peinture jaune sur l'avant tribord, rien, Zinzolin ira bien, je n'ai plus peur de rien.

Alors seulement remontent non l'histoire de ma nuit mais les échecs de ma vie. Les uns après les autres, un par un chronologiquement, méthodiquement je m'installe dans ce désespoir auquel je croyais benoîtement échapper en continuant comme si de rien n'était mais seulement sur une autre route vers la Bretagne. Tout y passe, je ne vous en dirais rien car ce n'est pas à vous. Je me sens seul face à mon incapacité à vivre mes rêves, l'envie alors d'arrêter tout pour de vrai, sauter à l'eau, abandonner complètement cette existence qui malgré mes tentatives ne me rapporte rien de ce que j'attends. Puis ne plus faire de bateau, abandonner mon projet de “Poèmes Bleus”, me réfugier dans ce que je sais faire de mieux et qui au moins pour les autres à un sens: travailler, travailler encore comme une fuite que je connais bien, me rendormir dans cette vie de chirurgien qui m'est quotidienne et tenter de faire croire que c'est cela et rien que cela qui me rendrait heureux. Collectionner les timbres.

Mourir lentement.


Les nuages passent en front, le vent forcit, je ne veux pas arriver de nuit a Sainte Marine avec une houle de plus de 5 ou 6 mètres qui me fait faire des surfs malgré ma pauvre voilure, le vent souffle par rafales jusqu'à 35 noeuds de vent apparent, 40 noeuds ou plus en vent réel. Je me vois faire naufrage sur les côtes bretonnes, épuisé, misérable puisque je ne sais donc pas naviguer, pas même la chance d'éviter un bateau de plaisance qui navigue en mer...

Et puis au fond de ce désespoir, l'envie qui vacille de me dire que non, ma névrose est ce qu'elle est mais je ne veux pas encore me résigner à elle. Et je me dis que rien ne peut s'arrêter là, comme ça. J'ai encore la force de lutter, même vainement, même pour mon plaisir égoïste. Je dois trop à ceux qui m'aiment, et à moi d'abord.

Un à un, je ramène dans mon filet les petits bonheurs d'être, d'avoir été jusque là, de continuer encore, me dire que cette fortune de mer fait partie de mon apprentissage de la Course au Large que je suis justement venu apprendre en solitaire pour cette course avant d'autres prochaines. Si tout est hasard, ce coup de dé n'est jamais inutile, il ne m'a pas tué il me rendra plus solide, je m'en rends compte à chaque vague qui me dépasse et me rapproche de la Bretagne. Je vois alors la mer qui déferle parfois turquoise en paquet de mousse, au ciel changeant des nuages qui roulent du Sud au Nord, à la mer gris-vert de cet Atlantique Nord que je connais tant et que j'aime. Je me sens enlevé par ce monde qui m'apparaît beau et unique. J'écrivais sur mon site de présentation que ce n'est pas seulement de position et de classement que je voulais parler, mais aussi de cette poésie qui nous entoure et que l'on discerne si mal; c'est cette vie unique que je voulais rapporter de mon aventure pour pouvoir la partager. J'en suis là, et je me dis que je suis bien à ma place que je recherchais, même différemment.


Une autre nuit en mer ou je réduis la voilure, j'avance seulement avec ma voile tempête pour n'arriver qu'au petit matin à Sainte Marine, paisiblement. Je passe l'archipel des Glénans et les Moutons comme une balle, je vois encore un bateau qui rejoint le port mais je ne veux pas le laisser arriver avant moi, et même si je suis heurté dans ma tête, même si Zinzolin est affaibli je renvoie la Grand -Voile haute et je me réjouis de nous voir distancer si facilement ce navire venu de Hollande. J'aborde au ponton de Sainte Marine; je range le bateau car je veux qu'il soit beau et propre, la fierté des blessés.

Christian Bourroulec du Chantier 'Structures” me rejoint dans l'après-midi. Je suis heureux de le voir, de sentir ses encouragements, de comprendre qu'il s'attend à ce que je reparte ou au moins participe à la deuxième étape, que pour lui aussi ma course a du sens. Je comprends mes responsabilités vis à vis des gens qui m'aiment et me supportent dans cette adversité ridicule et improbable. Les appels au téléphone, les messages électroniques m'attendent et un a un me renflouent, les amis qui passent. Mon frère se propose d'amener Zinzolin à Madère, j'aime surtout ce mot “ne te fais pas de soucis” qu'il m'ajoute, mon fils Gaspard aussi est volontaire, Pauline ma fille me veut en Martinique, Jenny est la triste pour moi mais heureuse de me voir à Tréboul pour plus longtemps.

Je ne me sens plus seul, plus dans mon histoire égoïste mais dans une aventure qui engage tant de monde et qui aussi donne la force des rêves, l'entrevue poétique.


Publié dans En course

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I
beau récit...merci
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