Naufrages

Publié le par Bertrand Guillonneau

J'ai lu récemment quelques livres de Francisco Coloane. Une littérature brute, dense, comme érodée par le vent du Sud dont il ne reste que le socle primaire, une littérature lapidaire donc: pas de mots en trop, de fioritures, pas de sentiments inutiles. Une littérature de survie en milieu hostile.
Ses Nouvelles de La Terre de Feu ou du Cap Horn sont de ce style décapé et à vif; j'ai moins aimé son roman Le sillage de la Baleine qui est plus convenu, mal organisé me semble-t-il, plutôt une succession de contes dont il maîtrise parfaitement la forme mais qui là se diluent les uns dans les autres et perdent leurs forces vitales; et puis la structure romanesque impose une organisation du texte qui l'éloigne du contenu. Enfin j'ai lu Naufrages qui est une compilation de récits de naufrages qui se sont déroulés sur les côtes du sud chilien. C'est un livre étonnant fait de la même littérature distanciée et âpre sur un sujet presque anecdotique. J'ai eu un peu de mal à y rentrer, à comprendre où il voulait en venir. C'est un travail qu'il a longtemps préparé, son dernier livre.

J'e n'ai jamais sombré même je m'y suis vu au moins une fois bien près; je me souviens d'une épave qui m'a impressionné, celle de l'Amoco Cadiz au large de Porsall dont la proue émergeait encore en 1978. Repensant à ces histoires, je me suis rendu compte que le naufrage ne fait pas partie de ma réalité de navigateur bien qu'il remplisse mon imaginaire: entre Oceano Nox et Le Radeau de la Méduse, mon musée romantique est plein de naufragés, de fureurs marines, et je ne sais pas ce qu'il reste aujourd'hui de cette attirance vers les maelströms, les Leviathan de mon enfance. Il me semble que le naufrage, toujours possible on me le dit et je m'y prépare par précaution, demeure une sorte de fantaisie qui justifie d'autant plus le départ, la rencontre d'un Kraken que je pourrais abattre, des tentacules duquel je serais fier, une fois le port atteint, d'avoir réchappé. C'est un peu comme un conte pour enfants dont on a besoin de ressentir la peur pour pouvoir s'endormir calmement et faire de beaux rêves.

Mais tout d'un coup à la fin de cette étrange lecture ces naufragés inconnus remontent inévitablement à la mémoire, je me rappelle que ce n'est pas seulement un conte mais aussi l'histoire de ces morts qui ont été vivants, avant, tout comme moi. Dernièrement je mentionnais le naufrage de José Seeten pendant la dernière Route du Rhum et j'aimerais pouvoir le rencontrer, lui parler, connaître un peu mieux ce à quoi il faut malgré tout me préparer et faire rentrer de la réalité dans ce qui est avant tout départ seulement un mythe.

Publié dans Divers

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